Original article written in Le Nouvelliste on December 3, 2018.
English Version here.
BAI’s managing attorney, Mario Joseph, is the author of the preface to the latest book by Ricardo Seitenfus, Les Nations unies et le choléra en Haïti : coupables mais non responsables (The UN & Cholera in Haiti: Guilty, but Not Responsible?).
L’effondrement de l’État haïtien, suite au kidnapping et/ou du coup d’État du 29 février 2004, a amené les nations tutrices du monde à envisager dans le cadre de l’Organisation des Nations unies (ONU) une mission dite de paix, communément appelée Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). L’expérience est désastreuse pour le pays le plus pauvre des Amériques dont l’entrée au concert des nations demeure toujours un cas de forceps. Outre le fait que la stabilisation est au final un trompe-l’œil, elle a arrosé le sol d’Haïti d’une maladie dégradante provoquée par la bactérie « vibrio cholerae ».
L’importation de cette maladie en Haïti a montré que les Nations unies pouvaient être aussi vecteurs de déstabilisation des peuples, supposément à tort, incapables d’assurer la gouvernabilité de leur pays, donc la prise en charge de leur destin. Elle met au grand jour l’indigence morale et intellectuelle desdites Nations unies dont les crimes salissent impunément le sol d’Haïti.
Homme d’une intégrité remarquable, le docteur Ricardo Seitenfus sonne l’alarme en prononçant la culpabilité de l’organisation mondiale pour l’intromission du choléra en Haïti. Ainsi, il a rendu un service historique aux victimes du choléra en Haïti, et à tous ceux qui se soucient de la justice internationale ou qui croient au potentiel des Nations unies pour combattre les maladies et promouvoir les droits humains et l’État de droit dans le monde. Il a expliqué, par une recherche minutieuse des faits et une analyse rigoureuse du régime juridique applicable, que, depuis huit ans, les institutions chargées de protéger les populations vulnérables d’Haïti contre les attaques de bactéries, de personnes et d’institutions les ont complètement laissées-pour-compte.
Les Nations unies et le choléra en Haïti : coupables mais non responsables, tel est le titre du dernier ouvrage du docteur Ricardo Seitenfus, consacré à Haïti. Dans un style simple et clair mais très savant, l’auteur aborde l’épineuse question du choléra, maladie diarrhéique très contagieuse due à une toxi-infection entérique épidémique par le bacille virgule.
Cet ouvrage est pour le moins le témoignage le plus éloquent du respect dû au peuple haïtien et à la conscience universelle. Sans détour, l’auteur raconte l’importation de la maladie, reconnait les velléités onusiennes pour contourner la vérité du laboratoire et ainsi se déresponsabiliser en refusant de prendre les précautions les plus élémentaires pour éviter l’introduction du choléra en Haïti et en déployant cyniquement une dissimulation qui a contribué à la propagation de l’épidémie à l’échelle nationale et a provoqué d’innombrables morts, et dénonce les manœuvres malhonnêtes pour faire porter à Haïti le fardeau de la lèpre nouvelle, quitte à corrompre l’histoire du pays. Il a mis aussi en lumière les limites juridiques des revendications des familles de plus de dix mille morts du choléra, en insistant sur les immunités, sorte de rideau de protection de l’Organisation des Nations unies dans cette affaire.
Il y dénonce aussi le déni de justice de l’ONU qui, ainsi, perd en crédibilité en niant les propres lois dont elle s’est dotées. Philip ALSTON, expert onusien en droits humains, a, vertement critiqué la stratégie juridique des Nations unies en la qualifiant de « moralement inadmissible, juridiquement indéfendable et politiquement contre-productive ». En clair, les Nations unies ont joué des tours cyniques pour se déresponsabiliser dans l’affaire du choléra.
L’État haïtien, à travers quatre présidences, a toujours refusé de prendre les mesures les plus élémentaires pour soutenir la lutte de ses citoyens pour la justice. En huit ans, il s’est rangé derrière la version onusienne, contribuant ainsi à corrompre l’histoire de la maladie en Haïti et à repousser les nobles demandes de justice des victimes.
Ces huit années de cynisme officiel et d’indifférence envers l’État de droit et envers la souffrance de plus d’un million d’Haïtiens ne sont qu’une partie de l’histoire. L’autre partie est celle de huit années de lutte persistante et inspirée des victimes du choléra et leurs alliés en Haïti et à l’étranger – même au sein de l’ONU – pour forcer cette dernière et l’État haïtien à respecter leurs idéaux et accepter leurs responsabilités.
Comme l’a si bien fait remarquer le professeur Seitenfus, la lutte n’est pas encore gagnée, même si les victimes du choléra et leurs alliés ont réussi le tour de force de porter la communauté internationale à investir des centaines de millions de dollars dans la lutte anticholérique, à réduire les risques pour les populations vulnérables du monde entier hébergeant des troupes de « maintien de la paix » et à apporter des améliorations importantes à la santé publique au niveau mondial.
Le succès de la lutte des victimes du choléra est une source d’espoir indispensable. Mais plus important encore, il lance un appel à l’action consultation des victimes. Il lance un appel à l’action pour la société civile haïtienne qui, comme l’explique le professeur Seitenfus, n’a pas fait sa juste part pour répondre à une épidémie et une injustice qui touchent principalement les plus marginalisés. Le succès des victimes est un appel à l’action pour ceux qui vivent dans les pays étrangers puissants où les décisions concernant les droits des Haïtiens sont systématiquement et honteusement prises.
Les victimes du choléra se sont engagées à se battre continuellement jusqu’à ce qu’elles réussissent, ce qui devrait nous donner confiance. Mais il ne faut pas être complaisant, car les victimes du choléra paient un prix fort face à une justice qui tarde à venir.
Chaque jour, de plus en plus de personnes tombent malades de cette maladie évitable; chaque semaine un autre Haïtien meurt. Il est rare que les enfants qui ont perdu leurs parents aillent à l’école, faute de moyens de couvrir les frais de scolarité, empêchant ainsi une autre génération de sortir de la pauvreté à travers l’éducation. Chaque jour, les familles qui ont dépensé tout l’argent dont elles ne disposaient pas pour soigner les malades ou enterrer les morts continuent de manquer de repas et de soins de santé de base.
Le prix total, que les victimes du choléra devraient payer à partir de maintenant, dépend en grande partie du reste d’entre nous : en Haïti et ailleurs. Nous avons des privilèges grâce à l’instruction, nous pouvons lire cet ouvrage et comprendre davantage les jeux et les enjeux. Nous pouvons agir auprès de nos dirigeants politiques, de la classe économique et de la société civile. Nous avons l’opportunité de soutenir la lutte des victimes et de la faire notre combat au nom de la vérité et de la justice. Plus nous soutenons la lutte des victimes, plus vite elles cesseront de payer ce prix terrible. Plus promptement aussi, le coupable agira.
Les Nations unies sont coupables mais non responsables. Mais alors, comment être coupables sans être responsables ? La responsabilité étant le fondement de tout système de droit, y compris celui du droit international humanitaire et du droit international des droits humains.
L’accord de siège du 9 juillet 2004, malgré sa nullité radicale pour violation de l’article 139 de la Constitution haïtienne, ne doit pas être un obstacle au droit d’accès à un tribunal. Car aucun juge d’aucune juridiction ne peut se dispenser de juger pour silence de la loi.
En clair, avec cet ouvrage, le procès est fait. Les Nations unies sont condamnées. Les victimes nombreuses attendent d’être réparées.